"Dès que nous entrons dans la vie, nous sommes promis à la mort. De ce point de vue, notre naissance est notre première grande souffrance. Ensuite, nous n'arrêtons plus de souffrir. Avec des nuances évidemment... Nous souffrons de ruptures et de deuils, de maladies, de la perdition progressive de nos forces. nous souffrons de la souffrance des autres. Cela ne veut pas dire que nous ne sommes pas heureux, que nous n'avons pas aussi de grandes joies, de grandes satisfactions. Car nos joies, ..., sont d'autant plus grandes et vraies que nous avons accepté de faire une place à la souffrance dans nos vies.
Notre société contemporaine occidentale, cependant, a tendance à trouver la souffrance incommode et malséante. Pour ne pas la voir, elle a décidé de séparer les rapports sociaux, ce que nous appelons mondanité, des rapports humains et fraternels. Dans les rapports sociaux, on parle de soi, mais de façon empirique, flatteuse. On parle de ce qu'on fait, de qui on fréquente. ... Ce que l'autre est profondément, ce qu'il ressent, n'est pas considéré comme intéressant. Parfois on parle de sa famille, des problèmes qu'elle pose, de l'inquiétude concernant la maladie d'un parent, de sa mort annoncée.
L'expression de cette douleur là est légitimée par l'appartenance familiale qui la récupère.... Et encore. Pas toujours. ... Ainsi, quand André Malraux perdit ses deux fils dans le même accident, qu'il dut se présenter de nouveau dans le monde ... il confia à l'oreille de sa compagne : "nous faisons peur."
Voir la souffrance où elle est:
Boudha, six siècle avant Jésus, se pencha sur le problème de la souffrance et il tenta de remonter à son origine. ... Il la voyait dans la certitude que nous mourrons. Aussi tout son enseignement fut-il fondé sur cette vigoureuse tentative de nous guérir de la peur de mourir. Le christ, plus tard ... mettra la souffrance au cœur de sa vie. En la prenant sur lui jusqu'à la crucifixion. Il s'écartera cependant de Boudha en concevant, et donnant à concevoir à tous, la fin même de la mort. Mais tous deux étaient réalistes.
.... l'important était de soulager, là, maintenant. ...
Tout chrétien convaincu des vérités de l'évangile sait qu'il lui faut honorer la souffrance et tenter d'y apporter une solution, ou au moins une consolation. Cependant le danger de l'occulter n'est pour autant exclu. La souffrance reste dérangeante, rebelle, elle bouscule l'ordre établi. Même un chrétien sincère pourra être tenté d'en atténuer la portée en la jugeant. En soulageant les souffrances de son choix, celles qui lui paraissent nobles, dignes, celles qu'il éprouve lui-même, celles qu'il se représente aisément ou qui font l'unanimité. Et en excluant les autres. ...
Dans Vivant jusqu'à la mort, Paul Ricoeur écrit : "Compassion avez vous dit? Oui, mais encore faut-il bien entendre le souffrir-avec que le mot signifie. Ce n'est pas un gémir-avec, comme la pitié, la commisération, figures de la déploration, pourraient l'être; c'est un lutter-avec, un accompagnement..." Mais ce lutter-avec est impossible si nous n'acceptons pas, dès le départ, que la souffrance puisse prendre tous les aspects, même ceux que nous ne comprenons pas. ... Vue de cette manière, la souffrance devient une question de foi. Comment compatira-t-on, et à plus forte raison comment guérira-t-on, si l'on ne croit pas en la souffrance de l'autre? C'est la première question, celle qui est au fond de tout. Comment peut-on aimer l'autre sans croire en lui?"
Je suis touchée.
Si vous voulez, vous avez des textes de moi sur:
http://blog.ifrance.com/lecoqmartine
La lettre mystique que vous y trouverez en première page parle de la mort. Peut être l'aimerez vous
Martine Lecoq
(chroniqueuse au journal "Réforme", hebdo national protestant)